Les crises sont des moments de suspension qui ouvrent un champ fictionnel ; l’inattendu, le flottement et l’inconnu libèrent un potentiel créatif. Les architectes cherchent alors à restructurer la société, à repenser le lien entre la ville et la campagne, à réimaginer les villes et les formes d’habitat, à réinventer l’architecture et sa matérialité, mais aussi à créer une nouvelle esthétique pour induire une dynamique de renaissance. Susanne Stacher, professeure en architecture et aménagement, à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, nous expliquera comment les crises ont permis aux architectes d’esquisser un nouveau rapport au monde.
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Susanne Stacher nous présente son travail sur l’architecture en temps de crise, qui est un sujet de plus en plus actuel. Ses recherches ont commencées en 2020 pendant la crise des gilets jaunes, au moment de la crise du Covid, lorsque toute la société a été suspendu tout à coup. Pour reprendre les mots de Brunon Latour, quand tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon, ou au contraire, accélérer. C’est le moment de questionner radicalement ces fameux systèmes prétendument irréversibles et de sélectionner attentivement ce qui est désirable et ce qui a cessé de l’être.
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Susanne Stacher s’appuie sur le travail de la philosophe Catherine Malabou qui lie l’architecture avec la notion du temps. En effet, si le mot « dôme » et « temple » ont la même racine étymologique qui signifie « se séparer d’un monde naturel », on peut se demander si les projets d’architecture (notamment à l’époque égyptienne) n’ont-ils pas été crées pour accéder à des mondes parallèles ?
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Toujours dans une pensée philosophique, mais cette fois-ci avec Dante, accompagné par Virgile et d’autres, on comprend qu’il y a une urgence à réfléchir sur le monde. Pendant la Renaissance, la notion d’esthétisme fait renaître des archétypes d’une époque antérieure, afin de toucher la société et de les pousser à construire une société meilleure.
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Au 20ème siècle, on peut voir un élan de retour à la nature. Susanne Stacher prend pour exemple l’exposition Art Moderne de Bernard Rodolphe. Il s’agit d’un retour aux cultures anciennes, avec des architectures qui ont un vrai savoir faire, modernes avec des angles droits, ce qui était en plein vogue a partir de la seconde moitié du 20ème siècle.
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Benaissa Howarth développe en Angleterre le concept de la cité jardin comme modèle de ville agricole moderne. En 1898, face à ces villes totalement surpeuplées, il imagine une ville jardin ou cité jardin en dehors des villes qui cumulerait les avantages à la fois de la campagne et de la ville.
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Dans ce chapitre, Suzanne Stacher explique l’architecture comme processus de création par destruction. La question de « table rase » est développée par le philosophe Nietzsche. De plus, Sigmund Freud à la fin de la Première Guerre mondiale explique que, d’un point de vue psychologique, le moteur de l’action créatrice est la pulsion de destruction. Ainsi, dans les moments de crise, les architectes ont un élan créateur pour échapper au destin immuable.
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Dans cette partie, la professeure tend sur la question de « réenchenter » le monde après une crise ou une catastrophe majeure tel qu’une guerre par exemple. Comment reconstruire notre être collectif dans une société d’après crise ou de post-conflit ? Comment répondre aux aspirations d’une vie meilleure, en paix, en résonance avec la société et en équilibre avec l’environnement ? La réponse varie selon les défis et besoins propres à chaque époque.
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En conclusion, Suzanne Stacher reprend les mots de Pierre-Henri Castel : » La fin de toute chose n’est sûrement pas pour demain ». Elle rappelle que l’architecture et l’urbanisme ont un rôle majeur à jouer puisqu’il s’agit de repenser l’utilisation, la provenance, mais aussi le réemploi des ressources et des matériaux et les modes de construction. Ainsi, l’architecte aurait pour rôle de réparer les ruines laissées du progrès et de redéfinir ce qu’est le progrès par une autre forme de progrès, celle de son temps.
Dans le cadre du cycle de conférences-débats Université Ouverte de CY Cergy Paris Université. Enregistrée le jeudi 9 novembre 2023.