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Existe-t-il une identité noire ?
1. La condition noire
La question de l’identité noire fait l’objet d’un intérêt croissant depuis de nombreuses années, dans l’espace politique comme dans le monde de la recherche. C’est pourtant une question iconoclaste : la République Française se veut aveugle aux distinctions de couleur et considère la citoyenneté dans un rapport abstrait, contrairement à d’autres pays, comme les Etats-Unis et le Brésil. En outre, les trajectoires des personnes concernées sont différentes, et le monde noir français est hétérogène. Toutefois, au-delà de cette hétérogénéité, il existe des facteurs d’homogénéité qui rassemble ce monde : une expérience sociale spécifique, ce que Pap Ndiaye appelle la « condition noire ».
2. Naissance d’une prise de conscience
A partir de cette reconnaissance minimale de l’identité noire fondée sur l’existence d’une expérience sociale spécifique, on aborde la question de la « minorité », telle qu’abordée notamment dans les années 30 par l’école dite de « Chicago ». Cette école a repenser la signification de la minorité : un groupe qui se caractérise d’abord par l’expérience de formes de racisme ou d’antisémitisme, par l’expérience commune d’un regard discriminant. En parallèle, de nombreux auteurs s’emparent de cette question en Europe comme Outre-Atlantique. En France, Césaire et Senghor s’interrogent sur ce qu’est être noir et forgent le concept de « négritude ».
3. Des voix dissidentes
Pap Ndiaye rappelle que des voix dissidentes à la reconnaissance de cette identité noire se sont pourtant faites entendre. En France, ce fut surtout le cas de Frantz Fanon, qui, à partir des années 40, estime que la « négritude » de Césaire ne constituait pas un point d’appui suffisamment solide pour permettre de porter une revendication politique. Fanon, avec d’autres, considèrent que ce point d’appui est définivement englué dans la racialisation du monde, c’est-à-dire dans les rapports coloniaux. Ces auteurs préfèrent s’appuyer sur une revendication anti-coloniale et s’intéressent surtout à ce que la racialisation a détruit dans la « psyche » des noirs.
4. En France, une « subjectivation noire » renforcée
Depuis une dizaine d’années environ, les formes de sujectivation noire se sont renforcées dans l’espace français et ce, sous deux aspects, l’un politique, l’autre culturel. Sur le plan politique, de plus en plus de personnes se disent noires pour faire état des torts et des méfaits qu’elles subissent. C’est pour elles un moyen de dénoncer les discriminations plus ou moins latentes dont elles font l’objet (contrôles de police vexatoires, refus d’accès au logement ou à l’emploi, etc.). Sur le plan culturel, les cultures noires sont de mieux en mieux collectivement revendiquées – les « bijoux rapportés de la servitude » dont parle Paul Gilroy. C’est le cas notamment de la musique noire.
5. Le « paradoxe minoritaire »
En conclusion, Pap Ndiaye estime que l’on assiste, en France comme dans d’autres espaces nationaux tels que le Brésil, à l’apparition d’un « paradoxe minoritaire ». Les personnes noires veulent être à la fois visibles et invisibles : visibles, c’est-à-dire reconnues dans leurs trajectoires et leurs cultures spécifiques. Elles veulent exprimer la vigueur, l’importance des cultures afro-antillaises et participer au métissage de la société française. Mais elles veulent aussi être invisibles, c’est-à-dire ne pas subir de discriminations en raison de la couleur de leur peau. Pap Ndiaye souligne que de nombreuses actions doivent être reprises ou créées en matière, notamment, de lutte contre le racisme.