Les sociétés du Maghreb nous sont proches historiquement, géographiquement et culturellement. Cependant, elles subissent une tension plus ou moins forte selon les pays entre le maintien des régimes autoritaires et la soif de démocratie, particulièrement parmi la jeunesse. Où en est le processus de démocratisation des pays du Maghreb ? Madjid Benchikh, professeur à l’université de Cergy-Pontoise, livre une analyse riche et sans concession.
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1- La démocratisation des pays du Maghreb : les termes du débat
Il faut, pour examiner si un pays prend le chemin de la démocratie, examiner si les textes qui régissent le fonctionnement de ses institutions comprennent les bases de tout système politique démocratique et vérifier si la pratique institutionnelle de ce pays est marquée par le pluralisme. Pour Madjid Benchikh, la Libye et la Mauritanie doivent être écartés de l’analyse : la Libye ne dispose pas d’une constitution faisant référence aux principes démocratiques et la Mauritanie n’a jamais pu mettre en œuvre la nouvelle constitution dont elle s’est dotée en 2006.
2- Algérie et Maroc : des démocraties « de façade »
Selon Madjid Benchikh, même si le Maroc et l’Algérie ont bien tous deux des constitutions d’inspiration démocratique et des scènes politiques, ces pays sont des démocraties de façade et non des pays engagés dans un « processus de démocratie ». Compte tenu des forces conservatrices en présence dans chacun d’eux, il n’est en l’état pas possible qu’ils évoluent vers des systèmes démocratiques authentiques. Cette réalité est d’ailleurs confirmée, en Algérie, par les taux d’abstention considérables constatés élection après élection.
3- En Algérie : l’illusion d’un renouveau démocratique
En Algérie, la constitution de 1989 a suscité un élan démocratique dans le pays. Mais cet élan s’est brisé rapidement : les élections législatives de décembre 1991, remportées massivement par le Front Islamique du Salut, ont été annulées par le pouvoir en place, remettant en cause sans aucun fondement juridique solide le choix du peuple algérien et, du même coup, la crédibilité de la réforme constitutionnelle. Depuis cette date, le système politique algérien est marquée par une profonde défiance des électeurs à l’égard des autorités.
4- Au Maroc : le poids des traditions et de la royauté
Madjid Benchikh estime que l’ère politique nouvelle instaurée par l’accession au trône du roi Hassan II, bien que marquée par le souhait de ce dernier de clore « les années de plomb » avec, notamment, la création de l’Instance Équité et Réconciliation, n’a pas mené à un système politique réellement démocratique. Les détenteurs du pouvoir réel, le Roi et le Palais, n’ont pas eu le souhait de remettre en cause les équilibres institutionnels et de donner toute sa place au pluralisme politique au Maroc.
5- Au Maroc comme en Algérie, l’absence de transition démocratique
Selon Madjid Benchikh, il ne faut pas confondre la démocratie de façade mise en place par les détenteurs du pouvoir pour des considérations d’opportunité politique, avec l’avènement d’une réelle transition démocratique. Au Maroc, les attentats de Casablanca et les arrestations arbitraires qui suivirent, période marquée par l’effondrement de l’appareil judiciaire, ont eu raison du début d’ouverture qui s’engageait dans ce pays sous l’impulsion de Hassan II. La situation a été similaire en Algérie.
6- En Algérie, un jeu démocratique factice
Madjid Benchikh dresse le même constat critique pour ce qui concerne la situation algérienne. En particulier, la place exorbitante de la « sécurité militaire », sorte de police politique, rend très improbable l’espoir de voir un jour, dans les conditions actuelles, un véritable système démocratique apparaître. De même, le rôle de l’armée dans le choix des hauts responsables politiques appelés à gouverner le pays est le signe que le pouvoir réel n’est pas le fruit d’un débat démocratique plural et transparent.